Marchandise exotique
LORSQU’ELLE s’éveilla, la Belle était étendue ; elle avait tellement, tellement sommeil. Elle était couchée, immobile, à peine capable d’ouvrir les yeux, une sensation qu’elle n’avait connue que dans ses rêves, petite fille, au château de son père. Prise de terreur, elle essaya de se lever, et, soudain, un visage sombre à la peau olivâtre surgit au-dessus d’elle.
Elle vit une paire d’yeux d’un noir de jais, d’une forme exquise, en amande, sertis dans un visage jeune et sans défaut, qui la regardaient. De longs cheveux noirs et bouclés encadraient ce visage et le rendaient presque angélique. Puis elle vit un doigt qui la priait, d’un geste pressant, de conserver un absolu silence. Celui qui lui adressait ce geste était un jeune homme de haute taille ; il se tenait debout au-dessus d’elle, vêtu d’une tunique brillante de soie or, brodée d’or à la taille, sur de longs pantalons amples de la même étoffe.
Il la fit asseoir. Ses mains à la peau sombre, au contact des siennes, étaient d’une remarquable douceur ; souriant, il hocha vigoureusement la tête lorsqu’elle lui obéit, il lui caressa les cheveux et, par des gestes fort démonstratifs, il lui fit comprendre qu’il la trouvait belle.
La Belle ouvrit la bouche, mais aussitôt son joli garçon lui posa un doigt sur les lèvres. Sourcils froncés, son visage trahissait une grande frayeur, et il remua la tête. La Belle demeura silencieuse.
D’une poche de ses amples vêtements, il sortit un long peigne et entreprit de lui peigner les cheveux. À demi endormie, la Belle baissa les yeux et s’aperçut qu’on l’avait lavée et parfumée. Elle se sentait la tête légère. Son corps était odorant, d’une senteur sucrée, épicée. Elle connaissait cette épice. Et sa peau était luisante. On l’avait ointe d’un pigment d’or sombre, et c’était ce pigment qui contenait cette essence. Cette essence, c’était la cannelle. Quelle beauté, se dit la Belle. Elle sentit sur ses lèvres la présence d’une couleur, une couleur qui avait le goût de baies fraîches. Mais elle avait une telle envie de dormir ! Elle pouvait à peine garder les yeux ouverts.
Tout autour d’elle, dans cette chambre faiblement éclairée, il y avait des Princes et des Princesses endormis. Elle aperçut Tristan. Dans un mouvement d’excitation indolente, elle essaya de se rapprocher de lui. Son serviteur et gardien à la peau sombre l’en empêcha avec une grâce féline, lui faisant savoir, par ses gestes pressants et les mimiques de son visage, qu’elle devait se tenir très tranquille et se conduire bien sagement Avec un froncement de sourcils exagéré, il la semonça en agitant l’index. Il jeta un œil au Prince Tristan, qui dormait, puis, avec cette même tendresse exquise, il caressa le sexe nu de la Belle et le flatta d’une petite tape tout en hochant la tête avec un sourire.
La Belle était trop fatiguée pour faire autre chose que regarder, avec émerveillement. Tous les esclaves avaient été huilés et parfumés. Sur leurs couches de satin, ils avaient l’air de sculptures d’or.
Le garçon brossa les cheveux de la Belle avec un tel soin que pas une fois elle ne sentit qu’on les lui tirait ou qu’on démêlait le moindre nœud. Il retenait son visage dans la paume de sa main, comme si elle était un objet très précieux, et il lui caressa le sexe de cette même manière affectueuse, en le flattant, mais cette fois, comme ces flatteries la réveillèrent, il tourna vers elle son visage rayonnant, le pouce de nouveau posé sur les lèvres de la Belle, comme pour lui dire : « Sois gentille, ma petite. »
Or, d’autres anges firent leur apparition. Une demi-douzaine de jeunes hommes, minces, la peau olivâtre, avec ce même sourire prévenant, entourèrent la Belle et, après lui avoir relevé les bras au-dessus de la tête, lui avoir joint les doigts, ils la soulevèrent, tout son corps paresseusement étiré, pour la porter. Elle sentit ces doigts de soie qui la soutenaient, à partir des coudes jusqu’à hauteur des pieds. Et, laissant errer rêveusement son regard sur les plafonds bas, en bois, elle fut portée, montée par un escalier, puis amenée dans une autre pièce remplie du babil de voix étrangères.
Elle vit au-dessus d’elle des étoffes brillantes, drapées avec art, un fond d’un rouge capiteux, couvert de petites pièces imbriquées d’or et de verre, et elle sentit l’arôme puissant de l’encens.
Puis, tout à coup, elle fut déposée sur un coussin de satin bien plus volumineux, bien plus rebondi, les bras déployés au-dessus de la tête, dépassant du rebord du coussin, les doigts glissés par en dessous.
Elle lâcha un bruit des plus ténus, pour voir aussitôt ses anges gardiens trahir leur terreur, et les doigts qui fusèrent à nouveau pour lui clore les lèvres. Les têtes remuèrent en un signe d’avertissement lourd de menace.
Puis ils se retirèrent, et elle leva le regard sur un cercle de visages masculins, les têtes enveloppées dans des turbans de soie aux couleurs rutilantes, les yeux noirs errant au-dessus d’elle, des mains lourdement baguées s’agitant. Des paroles s’échangèrent, on paraissait discuter et se livrer à des marchandages.
On lui releva la tête, on souleva sa longue chevelure, et des doigts précautionneux l’examinèrent. On lui pinça doucement les seins puis on les gifla. D’autres mains lui écartèrent les jambes, et, avec ces mêmes manières attentives, presque doucereuses, des doigts lui entrouvrirent les lèvres du pubis, firent rouler son clitoris comme s’il s’agissait d’un grain de raisin ou d’un colifichet, tandis que cette conversation animée se poursuivait au-dessus d’elle. Elle tâchait de rester immobile en regardant ces mentons barbus, ces yeux noirs et vifs. Et ces mains qui la touchaient comme si elle était un objet d’une immense valeur, très, très fragile.
Mais son vagin bien éduqué se contracta, émit ses sucs, et, du bout des doigts, on recueillit son humidité. De nouveau, on lui gifla les seins et elle gémit en veillant bien à ne point ouvrir la bouche, puis elle ferma les yeux alors même que l’on explorait ses oreilles et son nombril, que l’on examinait ses orteils et ses doigts.
Elle laissa échapper un soupir et un sursaut lorsqu’on lui entrouvrit les dents pour lui retrousser les lèvres. Elle cligna des yeux et, de nouveau, s’assoupit. On la retourna. Les voix lui parurent plus présentes ; une demi-douzaine de mains palpèrent ses bleus et l’enchevêtrement de zébrures roses dont, assurément, elle devait encore avoir les fesses couvertes. On dut également lui ouvrir l’anus, comme de juste, elle gigota, imperceptiblement, puis ses yeux se refermèrent, et elle reposa la joue contre ce satin délicieux. C’est à peine si quelques claques sèches la réveillèrent.
Et, lorsqu’on la retourna sur le dos, elle discerna les hochements de tête, et, sur sa droite, l’homme au visage sombre lui sourit brièvement et donna une nouvelle petite tape flatteuse à son sexe. Sur ce, les garçons angéliques la soulevèrent.
« Ce doit être une sorte d’examen », se dit-elle. Mais elle était plus abasourdie qu’effrayée, comme apaisée, et presque incapable de se rappeler ce qu’elle venait de penser à l’instant même. Le plaisir vrilla en elle comme l’écho de la corde pincée d’un luth.
On l’emmenait dans une autre pièce.
Quelle chose étrange et merveilleuse ! Cette pièce était occupée par six longues cages d’or. Un battoir, délicatement émaillé et doré, avec un long manche enroulé dans un ruban de soie, était suspendu à un crochet au fond de chaque cage. À l’intérieur de chacune d’entre elles, il y avait un matelas recouvert de satin bleu ciel. Lorsqu’on l’étendit dans l’une de ces cages, la Belle s’aperçut qu’elles étaient toutes jonchées de pétales de rose. Elle pouvait en respirer le parfum, et la cage était assez haute pour qu’elle pût s’y asseoir si seulement elle en avait eu l’énergie. Il valait mieux dormir, ainsi que ses gardiens et serviteurs le lui avaient conseillé. Naturellement, elle comprit la raison pour laquelle ils ajustaient sur son sexe une petite treille d’or, la plus ravissante qui soit, qui lui couvrait le vagin et lui sanglait le clitoris et les lèvres, qu’elle avait humides. Afin de la maintenir, ils accrochèrent les délicates chaînes d’or autour de ses cuisses et de sa taille. Elle ne pouvait toucher ses parties intimes. Non, il ne fallait pas. Jamais cela ne lui avait été permis, ni au château ni au village. La porte de la cage se referma avec un cliquetis et la clef tourna dans la serrure, puis elle referma les yeux et laissa une chaleur des plus délicieuses l’envahir.
Quelque temps plus tard, elle rouvrit les yeux, sans pouvoir bouger du tout, et elle vit Tristan que l’on faisait entrer dans la cage installée en angle, à l’extrémité de la sienne, et ces jeunes hommes charmants – c’étaient des hommes, pas des garçons, tout simplement des hommes, très petits et très délicats – qui flattaient les couilles et la queue de Tristan de leurs doigts languides à la peau sombre. On enfila aussi l’une de ces jolies treilles à Tristan, mais elle était bien plus grande ! La Belle regarda brièvement le visage de Tristan, complètement abandonné au sommeil, et d’une beauté incomparable.